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    Il y avait de quoi fulminer, ce samedi soir, en regardant "Salut les terriens" sur Canal Plus (à 18'05"). Christiane Taubira, qui était pourtant le sujet "désintox" du jour et le thème d’un débat politique censément équilibré, a au contraire fait l’objet d’une intoxication à la fois scandaleuse et malheureusement trop habituelle dans les médias.

     

    Christiane Taubira, caution d’une gauche qui n’en est plus une ; Christiane Taubira idéologue et provocatrice ; Christiane Taubira laxiste au point de refuser de punir les délinquants récidivistes.

     

    Les dés étaient pipés d’avance et Bruno Roger-Petit, le chroniqueur politique de "Challenges" (et ex-chroniqueur du Plus)  a eu beau avancer des arguments sérieux et crédibles, il ne pouvait guère l’emporter dans un débat déséquilibré, face à une Natacha Polony encore plus droitière que d’habitude, et qui plus est soutenue par un Thierry Ardisson n’hésitant pas à sortir de son rôle pour alimenter un procès en "laxisme".

     

    "De gauche" comme Veil et Badinter

     

    Pourtant, tout avait bien commencé et l’édito de Blako avait réussi un portrait équilibré de la ministre de la Justice, femme politique "de gauche" qui s’assume, rêve des 32 heures par semaine pour laisser le temps aux salariés de vivre et de se cultiver. Une personnalité capable d’imposer dans une société "de droite" le mariage pour tous, comme Simone Veil avant elle avait su imposer l’IVG  et Robert Badinter l’abolition de la peine de mort.

     

    Mais sur le plateau, les choses ont vite dérapé, et c’est tout juste si Bruno Roger-Petit a eu le temps de rappeler la filiation de la garde des Sceaux, "humaniste, jaurésienne avec un peu de Clemenceau dans son rapport à l’autorité".

     

    Et d’ajouter qu’il y avait en France deux poids et deux mesures de la part d’"une partie du bloc réactionnaire" qui pleure quand on critique Finkielkraut ou Onfray mais ne dit rien quand Christiane Taubira est attaquée :

     

    "Christiane Taubira, c’est tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, toute l’année et personne ne s’indigne !"

     

    "Elle fait de la politique"

     

    Natacha Polony a finalement reproché à la ministre d’être ouvertement "de gauche" et donc, de défendre ses convictions en provoquant des clivages : "Elle a une façon de cliver … il y a les avocats d’affaires, les riches et il y a les avocats de base"

     

    Et la chroniqueuse de dénoncer "une absence d’arguments" au profit de l’introduction d’"un biais idéologique qui va délégitimer celui qui ne pense pas la même chose".

     

    Sauf que pour reprendre l’exemple des avocats en grève, il faut manquer d’un minimum de connaissance de cette profession pour ignorer qu’en effet, sous un même vocable, on rencontre des avocats "de luxe" qui brassent des sommes considérables quand d’autres, les plus nombreux sans doute, tirent le diable par la queue, une fois leurs charges déduites.

     

    Distinguer les uns et les autres dans une même corporation revient à avoir une approche originale (et sociale, n’en déplaise à certains) que l’on ne saurait reprocher à la ministre en brandissant comme une croix le terme de "clivage".

     

    D’ailleurs, Bruno Roger-Petit a bien fait de rappeler qu’en ces temps où chacun fait de la communication, la ministre étonne parce qu’elle fait de la politique :

     

    "Elle ne fait pas de l’idéologie, elle fait de la politique ; faire de la politique effectivement quand on est de gauche, c’est cliver. Je ne vais pas me plaindre d’avoir une ministre de gauche qui assume d’être de gauche, faire une politique de gauche et tenir un discours de gauche."

     

    Un taux d’incarcération identique

     

    Quelle drôle d’époque que celle qui veut qu'être "de gauche" passe pour une provocation. Comment, d’ailleurs, ne pas être d’accord avec l’éditorialiste de "Challenges" quand ce dernier, excédé de tant de mauvaise foi idéologique de la part de sa contradictrice, a fait ce constat d’une France qui se crispe et se droitise :

     

    "Toute la journée, on baigne dans un bain médiatique conservateur, où on vous explique que toute idée d’humanisme, toute idée de progrès, même appliquée à des gens délinquants, c’est mal." 

     

    Il a eu beau rappeler que contrairement à la doxa réactionnaire, le taux d’incarcération a été identique sous Sarkozy et sous Taubira, Thierry Ardisson a tué le débat en décrétant une fois pour toutes que la Garde des sceaux était "laxiste", puisqu’elle avait supprimé les peines planchers et un projet pour 24.000 places de prison supplémentaires.

     

    Recherche de boucs émissaires

     

    Il aurait fallu alors entrer dans un débat à la fois technique et chiffré. Mais à voir le manque de fluidité des échanges, on a compris qu’il y avait eu pas mal de coupes au montage de l’émission (enregistrée rappelons-le). Et que ces trous ne pouvaient que nuire à l’équilibre du débat, et donc, nuire à Christiane Taubira.

     

    Elle n’avait pas besoin de ça, elle qui souffre dans l’opinion d’une image déplorable au prétexte qu’à côté de la sanction pour les délinquants, elle refuse d’oublier la pédagogie et la possibilité de la rédemption pour tous.

     

    On regrettera alors, avec le chroniqueur de "Challenges", ce "bain médiatique conservateur" qui, insensiblement, vient biaiser la réflexion des téléspectateurs. Et l’on déplorera en conséquence que les valeurs humanistes aient de plus en plus de mal à s’imposer dans une société crispée et en recherche permanente de boucs émissaires. 

     

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