• Résumer une vie en peu de lignes

    Résumer une vie en peu de lignes.

    Le jour de ma naissance j'étais le second. Douze ans auparavant mon frère Jean naissait. Joie immense dans une période bénie; le front populaire. C'est donc en 36 dans le pur bonheur que mon frère naquit. Il était d'une beauté à « décrocher la lune » ses photos me hantent encore.

    36, malgré le bonheur l'inquiétude pointait quand même son nez de l'autre côté du Rhin. Ce fut chose faite quand mon père partit pour la guerre en 39 laissant ma mère et mon frère Jean en « dépôt » à ses beaux parents qui vivaient à Bordeaux. Pour longtemps, oh non ! Toutes les guerres sont vites expédiées … sur le papier... Mon père revint en fin d'année 1945 (novembre) libéré par les Russes, total; sept années de captivité, trois évasions manquées qui à chaque fois l'envoyaient plus vers l'est.

    La joie ! le retour ! ma mère ! Bordeaux ! La France ! mais pas de Jean, mort en 1941 de la diphtérie. Mon père ne le sut par ma mère qui ne lui dit que juste avant son retour, pendant deux ou trois ans elle imita une écriture de gosse de cet âge dans ses lettres, chapeau bas.

    Des millions de gens, de familles ont fait la fête autour d'eux mais pas eux, eux, ils pleuraient de joie, mais surtout de peine, un chagrin dans lequel on a envie de plonger à pieds joints main dans la main et s'y noyer, y crever.

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    Donc voilà, je vins le vingt janvier 48, le lot de consolation? Peut être, en y pensant aujourd'hui je pense avoir été attendu comme le sauveur, celui qui allait faire oublier ce frère si parfait dans leur mémoire, mais qui leur fut bien décevant sans doute, la vie de tous les jours fait perdre pas mal de lustre.

    Bien sur je fus aimé, adoré, mais on ne peux remplacer tous les jours un martyr, un héros arraché à la vie si tôt et qui n'a pas eu le temps de décevoir ne serai ce qu'une fois.

    Mon père m'aimait, ça j'en suis sur mais attendait de moi des performances scolaires au dessus de mes moyens et moi à l'encontre de ces attentes je me fermais de plus en plus à ce monde scolaire étranger.

    Le sport lui donna quelques satisfactions, ski, natation, rugby, l'armée où l'on me mit dans les parachutistes, ça devait faire bien à ses yeux d'ancien militaire, prisonnier de guerre. Vous voyez j'étais bien quand même !

    Ma mère m'adorait je le sais, mais surtout mes grands parents de Bordeaux, eux comprenaient tout ça, durant l'agonie de mon frère ma mère vivait chez eux et ils suivirent son calvaire jusqu'au retour de mon père. Ils comprirent aussi que je devais incarner l'image de ce frère, parfait, encensé car parti trop vite et c'était un rôle bien trop dur à tenir pour moi, pauvre petit homme.

    Je l'aurais aimé ce frère que je n'ai jamais vu, il me manque encore.

     

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    C'est comme cela qu'au fil des années je me repliais sur moi, devint «sauvage» comme ils disaient, renfermé, timide, faisant le dos rond aux remontrances de mon père, me murant dans mon silence, me tournant complètement sur mes grands parents de Bordeaux qui sont encore au centre de mon cœur. Ma mère était, comme à l'époque, trop asservie à mon père. Sept années plus tard vint ma sœur, trop d'écart, moi le vilain petit canard, mignon, mais … oh, je ne sais pas dans le fond, je me fais peut être du cinéma. En tous les cas nous restâmes quasiment étrangers l'un pour l'autre.

    Je sais j'ai tous les torts, la famille pour moi ne compte pas. J'ai peu de personnes dans ma vie, Stella, Pascal et sa petite famille, Claude, des séquelles de moi ? pourquoi pas, et c'est tout. Pourquoi en ajouter je mentirais. Je ne connais pas mes neveux, n'ai jamais vu mes petits neveux, ça ne me manque pas, je n'en ai pas honte mais presque! Enfin il faudrait. Ce n'est pas convenable. Convenable par rapport à qui, à quoi? Es ce ma faute si dés mon arrivée on attendait l'être parfait capable de faire oublier un mythe, un martyr?

    On, nous a refilé le Tourmalet, à Stella qui n'y était pour rien. Nous enlevions ainsi une grosse épine du pied et remboursait le partage de mon père avec sa nièce, son père, mon oncle Louis, celui du Cantegril lui ayant mis un procès au cul. Puis il y eut la part de ma sœur pour moi, normal mais dur, dur. En dix ans, rembourser la nièce à mon père et ma sœur, quelque millions qui n'allaient pas dans des travaux.

    Zola, mon père buvant, ma mère pleurant, moi les surveillant et ma sœur les regardant (!?) Je ne sais pas si elle comprenait. J'en étais malade car je les aimais plus que tout.

    En 1969 j'avais été admis au concours de gardes de parcs nationaux, stage au parc de la Vannoise, concours à la mairie de Tarbes, c'était l'ouverture du parc national des Pyrénées ils embauchaient je rêvais de nous voir vivre à Cauterets, bâtir un petit chalet, la montagne, la nature c'était pour nous le rêve absolu. Je revois encore Stella m'attendant, dans la voiture, le jours de ma première audition, elle a toujours cru en moi, mais mon père malade me fit comprendre à demi mots que c'était une curieuse façon de quitter le navire et... je restais là. Pourquoi n'ont ils pas vendu. Un jour on m'a dis que je n'aurais pas été capable de faire autre chose, ils me l'avaient gardé, dur, dur non? Même dans l'hôtellerie qui va à l'encontre de mon caractère (horreur des gens, du relationnel, du commerce, des sourires forcés à part peut être le management) j'ai fini par m'en sortir, finir au Mèd, moi de la Gare, c'est peu je sais mais ça m'a fais plaisir que ma mère y assiste avant de mourir, revanche mesquine?. Il y a aussi mon CAP cuisine que je ne passais jamais, mon père deux jours avant eut son deuxième infarctus, mois de juin, l'hôtel complet, personne en cuisine, je restais là à me les bouffer et je reste poli.

    Alors maintenant je n'ai peut être pas les attitudes que l'on doit attendre de moi, mais je m'en tape. Je suis fier de mon petit monde, maman, Pascal et Claude c'est moi qui les ai pondu.

    Cet entourage à la limite intéressé, m'aimait certes, enfin je pense mais attendant toujours plus de moi pour faire ce que mon frère Jean aurait fait, Lui .

    « Même mon ombreAlain Fournier , Moi Ados »
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